Communauté Mozilla francophone

En 2003, AOL/Netscape a abandonné Mozilla, j’ai donc été licencié avec mes collègues qui travaillaient sur le sujet. On savait que Firefox était dans les tuyaux, alors on a décidé de monter Mozilla Europe. De fait, comme personne ne voulait l’être, j’ai été nommé président par défaut. Ça nous a pris 21 mois sans salaire, mais Firefox 1.0 est sorti, et l’adoption en Europe était énorme, plus forte qu’aux États-Unis, tout comme la participation, grâce à la localisation. J’en profite pour saluer Pascal Chevrel et Peter Van der Beken, qui étaient de la partie, ont joué un rôle essentiel dans ce succès, et sont toujours chez Mozilla aujourd’hui.

Après Mozilla, tu as signé dans une start-up française. Quels arguments t’ont convaincu de signer chez eux ?

J’adore Mozilla, mais 17 ans sur le même projet, ça fait long sur un CV, ça pourrait décourager des recruteurs… Et puis Mozilla est une grosse machine maintenant, et je suis plus à l’aise dans des toutes petites structures où ça tangue et où chacun doit savoir faire plein de choses.

Et tu l’as regretté depuis ?

Non, pas du tout, au contraire ! Chez Cozy Cloud, il y a une super équipe et on fait toujours du logiciel libre, au service de l’utilisateur, mais cette fois-ci pour protéger ses données personnelles. Mes collègues sont géniaux, et la mission est aussi audacieuse que celle de Mozilla au début : on veut déboulonner les GAFAM ! J’espère faire de Cozy Cloud le prochain Mozilla, en produisant du logiciel libre pour changer le monde ! Ça paraît fou, mais lancer Firefox sans moyens avec une poignée de bénévoles l’était aussi. Et pourtant, on l’a fait…

Tu sors aujourd’hui un livre sur la surveillance que tu as rédigé par chapitre sur ton blog. Pourquoi acheter maintenant une version papier ? pour mettre Tristan sur sa cheminée ?

Ah ah, non ! Surveillance:// (le livre), c’est un livre pédagogique qui vise à expliquer pourquoi et comment nous sommes surveillés par les technologies qu’on décide d’utiliser. Évidemment, le marketing des sociétés ne va pas nous dire qu’ils nous surveillent. Et après, on découvre que cette centralisation des services permet à des États de surveiller les citoyens, comme on le sait depuis les révélations Snowden. Alors Surveillance:// a pour vocation d’expliquer tout ça, de réfléchir à ce que pourrait être une informatique qui est au service de l’utilisateur et ne pourrait pas devenir oppressante. Et la 4ᵉ partie du livre, c’est une rapide description de ce que chacun peut faire facilement, rapidement et pour pas cher en vue de se protéger de la surveillance. Ça ne va pas faire de nous des pros du darknet, mais je veux qu’on réalise qu’il ne faut pas se résigner : agir pour se protéger est possible, il suffit de le vouloir. Il faut le faire pendant que c’est encore possible. Pour ça, il faut toucher un large public, et le livre papier (et eBook sans DRM), c’est un outil important.

Tu as choisi « C & F Éditions » pour ton livre. Je suppose que tu as eu d’autres propositions, alors pourquoi cet éditeur précisément ?

Je me suis demandé si je le publiais à compte d’auteur ou pas, ce qui m’a longuement tenté. Et puis on m’a recommandé C & F Éditions. Ils ont édité les traductions de danah boyd (sans majuscules !) et Fred Turner ainsi que le livre de Xavier de la Porte. Je n’ai pas pu dire non :-) . Avec le recul, c’était une bonne idée : grâce à eux le livre a pu sortir et est de bien meilleure qualité.

Le CNNum, la CNIL, c’est pour les ors de la République que tu t’y impliques ?

Ah non, pas du tout ! Déjà, au CNNum et à la CNIL, c’est du travail bénévole, donc ça n’est clairement pas pour l’argent, et ça n’est pas facile de trouver du temps entre un job de dirigeant dans une start-up et avoir une vie de famille. Donc c’est plutôt un sacrifice, mais il vaut le coup car il me donne l’opportunité de pousser dans le bon sens, dans un monde où les politiques ne sont pas des natifs du numérique.

Tu donnes beaucoup de conférences et d’interviews sur la surveillance et le modèle de société qui risque d’en résulter. Combien de fois as-tu raconté l’histoire des cochons ? Ça marche encore ?

L’histoire des cochons marche très bien pour qui ne la connaît pas, et même ceux qui la connaissent semblent en redemander. Et j’ai remarqué que des histoires permettent aux gens de mieux comprendre et assimiler les messages. Alors je ne m’en prive pas !

Après la dédicace de ton livre ce soir chez Numa, as-tu d’autres rencontres avec le public ou conférences prochainement ?

J’ai déjà une proposition pour une soirée dédicace dans une librairie parisienne bien connue des libristes, mais je suis ouvert à d’autres propositions en régions si j’arrive à combiner ça avec mes déplacements.

Mozillien un jour, Mozillien toujours, est-ce juste une formule de ton point de vue ?

Pour moi c’est une réalité : je suis toujours sur l’IRC de Mozilla, je passe de temps en temps au bureau de Paris et je suis parti de Mozilla en très bons termes. Mozilla est une partie importante de ma vie, je suis très fier du travail qui a été fait dans les années 2000. Et bien sûr, Firefox est toujours mon navigateur principal : je tiens bien trop à ma vie privée pour utiliser autre chose… :-)

Soirée de lancement du livre de Tristan Nitot, Surveillance://
Lundi 3 octobre 2016 à 19h15
Numa Paris
39, rue du Caire
75002 Paris
Carte libre
Au programme : un mot de l’éditeur, un mot de l’auteur, séance de dédicace et un (petit) verre.
S’inscrire.

Tristan Nitot, surveillance:// – les libertés au défi du numérique : comprendre et agir, Caen, C&F éditions, « Blogollection », 2016, 192 p. ISBN 978-2-915825-65-7 (préface Adrienne Charmet, coordinatrice des campagnes de La Quadrature Du Net)
Disponible aussi en eBook

Lien vers la dernière interview : Christophe Villeneuve

Crédit : photo de Tristan Nitot, Matthias Dugué sous licence CC By 4.0