Pour l’amour du renard roux
Article original de Chris Heilmann traduit par Goofy et AmarOk, pour MozFR
Je travaille chez Mozilla. L’organisation à but non lucratif qui veut garder le Web ouvert, bien ouvert et vivant. Voici quelques-unes des raisons pour lesquelles j’y travaille :
- Nous avons un manifeste. Pas une « ligne directrice d’entreprise » ni « notre vision » ni « à propos de nous ». Nous menons nos affaires sérieusement, mais pas avec l’objectif de « ce qui nous apporte le plus d’argent »
- Nous avons des personnes, pas des chiffres du personnel. Des personnes extraordinaires, des créatifs, des marginaux et des personnes ordinaires. De partout dans le monde, de toute origine, avec toutes sortes de pensées et de croyances. Et ils travaillent ensemble. Ils s’affrontent, ils sont en désaccord, ils me mettent en copie et inondent ma boîte de réception parce que je suis censé connaître toutes les réponses à leurs questions pour savoir comment ils peuvent faire ceci ou cela. Ils ont tous des configurations et des façons de travailler différentes.
- Nous donnons du pouvoir à ces personnes. Nous travaillons avec un grand nombre de personnes que nous ne payons pas. Nous les aidons à apprendre, nous les aidons à devenir les porte-parole d’une bonne cause, nous les aidons à devenir des communicants pour des régions du globe, des langues et des mœurs dont nous n’avons aucune idée. Nous leur faisons confiance. Et cela se voit. Aller à un sommet Mozilla, c’est comme aller à un concert ou un festival. Vous avez beaucoup de plaisir, vous avez beaucoup de bruit et bon dieu qu’est-ce que vous êtes sollicité par un tas de demandes. Les gens sont avides de faire le bien, et veulent absolument tout savoir sur ce qu’il faut faire.
- Nous sommes un tremplin. Un certain nombre de ceux que j’ai formés à prendre la parole en public et à faire de l’évangélisation technique ont trouvé un meilleur travail immédiatement après. J’écris des lettres de recommandation plus que jamais auparavant. Et je vois des gens avoir une chance de s’installer dans un autre pays et obtenir un emploi auquel ils ne faisaient que rêver auparavant.
- Nous sommes plus qu’une entreprise de la Silicon Valley. Nous sommes dans le monde entier, tout le monde a le droit de travailler à domicile et c’est ce que font beaucoup d’entre nous. Nous espérons que vous utiliserez votre temps à bon escient et nous vous demandons seulement d’être présents aux réunions en téléconférence quand nous avons besoin de nous synchroniser. Cela signifie que nous produisons beaucoup plus que je ne l’ai jamais vu dans aucune autre société. Votre production parle pour vous, pas l’heure de votre arrivée au bureau, ni votre allure, ni votre origine.
- Nous accordons du prix à la passion et à la personnalité— Je peux être vraiment un sacré casse-c****. D’autres personnes me rendent fou. Nous n’avons pas à avoir les mêmes idées, mais nous trouvons plutôt un terrain d’entente et pouvons analyser ce qui est bon pour le projet dans son ensemble. Ensuite, nous le faisons ensemble. Être en désaccord avec un supérieur, un manager, ou même un PDG ne pose pas de problème. Si vous avez un bon argument, il sera pris en considération et après examen par les pairs, c’est votre idée qui peut être adoptée. Vous pouvez aller bien plus loin que vous ne pourriez le faire dans les autres entreprises. Et ce n’est pas dans le genre « oui, laissez-les dire - ça leur fait plaisir » Si vous êtes professionnel et avez une bonne idée, vous trouverez une oreille attentive pour vous écouter.
- Nous sommes en désaccord et nous discutons. Ici le vieux dicton « discuter avec un ingénieur, c’est comme lutter avec un cochon dans la boue - vous comprenez bien trop tard qu’il adore ça » est particulièrement vrai. Toutes les discussions et désaccords sont publics. Les désaccords personnels se font normalement en tête-à-tête et par message direct. On ne demande à personne d’être d’accord avec quoi que ce soit avant d’avoir eu son mot à dire. Cela retarde les choses, cela les rend beaucoup plus compliquées, mais nous permet d’être également qui nous sommes. Un produit libre et ouvert ne peut pas être créé derrière de hauts murs. Open source ne signifie pas simplement « le code se trouve sur GitHub ». Il s’agit de pure transparence et de processus désordonné. Mais cela donne des produits solides qui ne peuvent pas être tués si une personne s’en va ou en a marre. Aucun risque de voir disparaître un projet open source dont l’unique développeur disparaîtrait brutalement. Ce qui est partagé ne peut pas être enlevé, ni par des changements d’organisation, ni par des puissances extérieures, ni par des choses stupides comme une défaillance matérielle.
- Nous travaillons avec la concurrence. — Je n’ai aucun problème à parler avec Google, Microsoft, Opera, Twitter, Facebook et tous ceux qui me plaisent. Je fais des conférences à leurs évènements, je partage avec eux les travaux en cours que nous menons. Je félicite et promeus publiquement les bonnes choses qu’ils font. Nous travaillons sur les normes et les meilleures pratiques. Celles-ci ne peuvent pas être élaborées à un seul endroit mais doivent être soumises à examen contradictoire par des pairs.
- Nous vous permettons de parler librement Il n’y a pas de censure, rien qui ressemble à « vous ne devez utiliser que ce canal pour communiquer ». Ce dernier truc m’énerve au plus haut point, car je dois très souvent réagir à des affirmations que font certains à propos de nos produits sur leur blog personnel, ou bien il m’arrive de tomber par hasard sur le Web sur des exemples géniaux ou du code. Les gens préfèrent écrire sur leur propres canaux sur les produits qu’ils créent sur leur temps de travail en entreprise plutôt que d’utiliser le canal officiel. Dans d’autres entreprises, c’est un problème de ressources humaines. Bon dieu, j’avais des contrats qui stipulaient que tout code écrit sur du matériel de l’entreprise lui appartenait. Ce n’est pas le cas ici. Vous pouvez parler et devez aussi être conscient de l’impact de votre communication. Très souvent cela signifie que nous devons vous aider quand vous avez communiqué de travers. C’est difficile, mais cela signifie également que nous apprenons.
Toute cette folie désordonnée constitue Mozilla. Et c’est pourquoi j’en fais partie. Ce n’est pas un travail tranquille de 9h à 17h, Ce n’est pas une tâche facile. Mais elle est sacrément enrichissante et intéressante.
Quand j’ai commencé chez Mozilla, mon salaire a diminué. Aujourd’hui Je reçois en permanence de meilleures offres de l’extérieur. J’ai eu un entretien de six heures avec six personnes. Ce fut le meilleur stimulant intellectuel que j’aie connu pendant des années. Quand j’ai rencontré les bénévoles sur mon chemin et quand j’ai vu qu’ils donnaient de leur temps pour Mozilla avec un sourire contagieux, j’ai su que je me lançais dans quelque chose de bon.
Quand j’ai eu mon entretien d’embauche, personne ne m’a rien demandé de mes convictions personnelles ou religieuses. Ce serait illégal - du moins d’où je viens. Je ne suis pas obligé d’être d’accord à titre personnel avec tous ceux avec lesquels je travaille. Tout ce que j’ai à faire est de vous garantir votre liberté d’être qui vous êtes et agiter le drapeau lorsque vos opinions personnelles dérangent ou blessent d’autres et ne sont tout simplement pas appropriées dans une situation de travail.
Alors quand vous me dites que puisque je travaille chez Mozilla je partage les idées d’autres personnes qui sont hiérarchiquement placées « au-dessus » de moi, ça prouve que vous ne me connaissez pas et que vous ignorez tout de la façon dont fonctionne Mozilla.
Nous sommes différents et nous travaillons autrement. Vous réduisez quelque chose qui se développe sur la communication, l’aide mutuelle et l’expression de milliers de voix personnelles à quelque chose que vous comprenez : une entreprise pyramidale au sommet de laquelle se trouve une personne qui incarne tout ce que fait l’entreprise. Ce genre de personnage existe, c’est le créateur unique de startup ou un superhéros de cinéma. Mais ça ne marche pas comme cela pour une entreprise connectée et ouverte comme Mozilla.
J’ai connu des moments où j’étais prêt à abandonner. J’ai connu une période douloureuse de plusieurs mois récemment, quand tout mon travail des dernières années a été mis en question et je sentais que je manquais de trucs qui puissent encore me tenir en haleine. Et puis je me suis concentré sur les personnes qui donnent de leur temps libre et je leur ai parlé. Et j’ai retrouvé la flamme.
Je suis ici pour toutes ces personnes qui donnent de leur temps pour garder le Web ouvert, pour enseigner les rudiments du Web, pour donner aux gens une voix là où il serait difficile pour eux de se faire entendre. Ils peuvent être mes collègues, ils peuvent être des bénévoles, ils peuvent être des personnes dans d’autres entreprises avec des objectifs similaires. C’est plus grand que moi et plus grand que vous. J’espère que cela va demeurer, j’espère que cela va se développer et j’espère que les gens comprendront que ce que Mozilla a fait et fait encore est extrêmement important. L’information doit être publique et libre. L’Internet le permet.
Nous l’avons fait par passion pour protéger cet Internet et vous donner un logiciel qui est à votre disposition — gratuitement, sans portes dérobées, sans vous demander vos informations dès le départ. Si ce n’est pas votre truc, très bien. Mais n’abandonnez pas parce que vous n’êtes pas d’accord avec les actions et les croyances personnelles d’une personne. Moi, je n’abandonne pas.
Rejoignez-nous, contribuez ou venez travailler chez Mozilla.
— Christian Heilmann